Aminata Touré, ancienne Premier ministre du Sénégal, a partagé ses impressions et réflexions suite aux déclarations du président Macky Sall évoquant un sentiment de trahison par certains de ses alliés. Dans un entretien avec le quotidien EnQuête, Aminata Touré a exprimé une profonde déception face aux commentaires du président.
Aminata Touré a remis en question le ton adopté par le président, estimant qu’après 12 ans à la tête du pays, un message de gratitude envers ses collaborateurs serait plus approprié. Elle a rappelé les circonstances de 2011, lorsque Sall n’était pas le candidat favori et était « officiellement sans emploi ». Touré et d’autres, dont feu Alioune Badara Cissé, ont pris des risques significatifs pour soutenir sa candidature.
Voici un extrait de l’entretien :
Madame Aminata Touré : Déjà, je pense que ce n’est pas le ton que devrait avoir un président de la République après avoir passé 12 ans à la tête du pays. Son mandat a été renouvelé. Le peuple lui a fait un grand honneur ! C’est un honneur d’occuper des fonctions et diriger nos compatriotes. C’est plus un message de gratitude qu’il devrait exprimer, y compris à l’endroit de ses collaborateurs.
Quand on accompagnait Macky Sall en 2011, il y avait 13 autres candidats au siège du président de la République, plus le président sortant, Me Abdoulaye Wade. Au moment où il n’avait rien à offrir, Macky Sall a été notre choix. Il était officiellement sans emploi. Nous nous sommes battus à ses côtés dans un contexte très incertain en prenant des risques.
J’étais fonctionnaire international avec un contrat à durée indéterminée et j’ai pris un congé sans solde. Je voudrais également parler au nom de feu Alioune Badara Cissé (ancien médiateur de la République) qui a laissé un poste d’avocat pour le suivre, et tant d’autres compagnons. On avait le choix d’accompagner d’autres candidats. Mais nous l’avons choisi, alors qu’il n’était même pas le favori de l’élection. C’était un choix de raison et affectif.
Maintenant, le présidentialisme dans nos pays est tel que cela peut faire tourner la tête de la première institution du pays. Il faut des gardefous. Dans les grandes démocraties, le président de la République ne peut pas tout faire. Mais chez nous, le pouvoir du président est illimité. Donc, lorsque certains de vos compagnons ne sont pas d’accord avec ce que vous voulez, vous les considérez comme des traîtres.
Je fustige cette explication de notre compagnonnage. C’est une trahison de plus de nous considérer globalement comme des traîtres, lorsque je pense à Alioune Badara Cissé qui n’est pas là pour le dire. Il avait sa personnalité et ses idées et on a tous vu comment cela s’est terminé entre lui et le président Macky Sall
Quels que soient les aléas du compagnonnage, je pense qu’il devrait leur exprimer de la gratitude de l’avoir choisi comme compagnon dans des moments incertains. J’aurais aimé entendre ça dans son discours. 12 ans après, que le mot trahison sorte, c’est une grande déception ! Maintenant, on peut rentrer dans les détails de qui a trahi qui ? Cela peut faire l’objet d’un débat ! Il est président de la République, par respect pour cette institution, je m’en arrête là
Dans mon cas, j’ai consacré mon énergie, mon temps et mes ressources pour le soutenir. On a vu comment la relation s’est terminée. Je suis allée au-delà de la loyauté envers lui. Je vivais à New York, une ville agréable avec mes enfants. J’y possède un titre foncier. J’ai tout mis en parenthèse pour accompagner un opposant. Macky Sall, quels que soient nos différends, devrait reconnaître que nous avons contribué à son parcours. Ce qu’il nous doit, c’est de la gratitude. S’il en est arrivé à signer des décrets, à ordonner des dépenses, à nommer aux fonctions civiles et militaires, c’est parce qu’on l’a accompagné pour qu’il se fasse élire.
Un président doit savoir que les Sénégalais lui confient leur destin pour un laps de temps bien déterminé. Nous ne sommes pas dans une royauté, encore moins dans un empire. Il a vocation à élever le bien-être des Sénégalais, dans la justice, l’équité et la bonne gestion de nos ressources. C’est un conseil pour le prochain président de la République et j’espère que ce sera moi. Il faut toujours rester attaché aux intérêts de votre population, ne pas se laisser influencer par les flatteurs, les griots, la famille, etc. À l’arrivée, ce qui compte, c’est l’appréciation du peuple sénégalais.