Le samedi 3 février 2024 sera une date marquée dans le marbre de l’histoire politique du Sénégal. Pour la première fois, une élection présidentielle a été reportée; de surcroît, à 24 heures du démarrage de la campagne électorale pour la présidentielle initialement prévue le 25 février 2024. A défaut de parler de report, faute d’argument, le chef de l’Etat dit avoir abrogé le décret convoquant le collège électoral.
En agissant ainsi, Macky Sall a failli là où ses prédécesseurs ont toujours respecté le calendrier républicain, malgré toutes les vicissitudes vécues au cours des 64 années d’indépendance. La tension a été vive à la présidentielle de février 1993 provoquant la démission du juge Kéba Mbaye, président du Conseil constitutionnel. La situation sera à nouveau tendue aux législatives débouchant sur l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice-président du Conseil.
Les évènements de 2011 restent mémorables au Sénégal. L’Assemblée nationale a été prise d’assaut par une foule surexcitée. Les manifestations contre la troisième candidature d’Abdoulaye Wade ont été violentes ainsi que la répression qui a fait plusieurs morts. Le Conseil constitutionnel a été accusé d’être coupable d’avoir validé une candidature illégale aux yeux de certains, illégitime et surtout immorale, de l’avis de la majorité des Sénégalais.
Mais ni Diouf, ni Wade n’ont reporté le scrutin. Macky Sall aura donc fait moins que ses devanciers à la présidence.
Mais là n’est pas le problème. La principale question ici est de savoir si le contexte peut justifier le report. La réponse est évidemment non ! Il n’y a rien qui justifie ce report ou annulation du scrutin. Rien n’empêchait les Sénégalais d’aller aux urnes le 25 février et de choisir leur président.
Mais Macky Sall et ses alliés du Pds ont créé une crise artificielle pour servir des agendas non avoués. En vérité, la candidature recalée de Karim Wade est le bon prétexte pour Macky Sall, mais la participation de Wade fils au scrutin est le cadet des soucis de celui qui est le président du Sénégal jusqu’au 2 avril 2024. Macky Sall a déjà utilisé la justice pour éliminer le candidat du Pds en 2019.
Il faut donc simplement croire que le patron de l’Apr trouve son compte dans ces accusations du Pds contre le Conseil constitutionnel et sa demande de report des élections. De deux choses l’une : soit Macky Sall a un problème dans son propre camp, soit il cherche à se donner les moyens d’éliminer des candidats qu’il croyait avoir écartés par le dispositif mis en place.
S’agissant de son camp, il n’existe aucune dynamique pouvant permettre d’espérer une victoire d’Amadou Ba, le soir du 25 février. Mais il se dit surtout que Macky Sall ne se reconnaît pas ou plus dans son choix de faire du Pm Amadou Ba, le candidat de Benno bokk Yaakaar. D’ailleurs, des protégés de Macky Sall comme Mame Mbaye Niang se permettent d’attaquer Amadou Ba, tout en étant dans le gouvernement qu’il dirige. Les médias rapportent en plus une discussion tendue entre le président et son Pm-candidat. Ce ne serait donc pas une surprise, si Macky Sall choisit un autre candidat pour la majorité présidentielle à l’issue de ses manœuvres.
L’autre hypothèse consiste à vouloir éliminer certains candidats de l’opposition. Dans son recours, Amadou Ba avait visé Bassirou Diomaye Faye, Cheikh Tidiane Dièye et Cie pour appartenance à un parti dissous, mais les sages ne l’ont pas suivi. Or, c’est un secret de polichinelle que de dire que Macky Sall ne veut pas de Sonko et de ses alliés dans ce scrutin.
Supprimer le parrainage citoyen, une balle de sonde ?
Pour régler des questions personnelles, le président Sall a choisi de s’asseoir sur la République. Il avait déjà mis sous le coude certains dossiers, mais depuis samedi, il a mis le coude sur les institutions du pays, prétexte d’une crise inventée de toutes pièces entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel.
A ce jour, personne ne sait quelle sera la date du prochain scrutin, ni les conditions d’y aller. Mais une chose est sûre, Macky Sall va encore manœuvrer. Il a d’ailleurs promis d’appeler à un dialogue. Ce qui est déjà un aveu d’échec, puisqu’il avait initié un dialogue il y a juste un an. Il est resté sourd à toutes les récriminations et tous les manquements constatés dans le processus.
C’est pourquoi d’ailleurs l’opposition et la société civile doivent être très vigilantes par rapport à ce soi-disant dialogue.
Samedi sur Tfm, Mayoro Faye a déclaré qu’il faut mettre un terme au parrainage citoyen pour se limiter au parrainage des élus. Interpellé par Pape Ngagne Ndiaye pour plus de précision, il affirme que son idée n’est pas encore bien mûrie pour être partagée. Ce serait une grosse erreur que de prendre cela à la légère, si l’on sait que très peu de candidats peuvent se faire parrainer par des élus.
En voilà un point qui mérite une attention particulière, si l’on ne veut pas demain se retrouver dans une élection où ce sera la majorité présidentielle et ses alliés revendiqués ou inavoués comme Idrissa Seck et le Pds.