Résumé
La panne mondiale de Cloudflare survenue récemment a mis en lumière la dépendance structurelle des économies africaines vis-à-vis des infrastructures numériques étrangères. Cet article propose une réflexion scientifique sur les enjeux techniques et stratégiques de la souveraineté numérique africaine, en soulignant la nécessité de développer des infrastructures cloud locales et résiliantes, à l’exemple du Parc des Technologies Numériques de Diamniadio au Sénégal.
- Contexte et problématique
Les interruptions de services survenues à la suite d’une panne technique chez Cloudflare, fournisseur majeur de services DNS, CDN et de cybersécurité ont temporairement affecté de nombreuses plateformes web mondiales à l’exemple du service de streaming musical Spotify ou du site de la SNCF et du réseau social X.
Cet incident démontre la centralisation excessive d’Internet, où quelques acteurs gèrent une part significative du trafic mondial. D’un point de vue technologique, cela crée un risque systémique : lorsqu’un fournisseur clé connaît une défaillance, des milliers d’entreprises et de services interconnectés subissent une interruption simultanée.
Pour l’Afrique, cette dépendance s’exprime à travers l’hébergement massif de données en dehors du continent et la concentration des ressources numériques sur des infrastructures non africaines. - La dépendance technologique : un enjeu stratégique
Sur le plan scientifique et économique, la souveraineté numérique correspond à la capacité d’un État à maîtriser ses infrastructures critiques, ses données et ses flux d’information.
Actuellement, la majorité des services cloud utilisés en Afrique repose sur des plateformes étrangères (AWS, Microsoft Azure, Google Cloud, etc.).
Cette dépendance présente trois types de vulnérabilités :
Technique, en raison d’une faible redondance locale et de la latence accrue liée à l’éloignement géographique des serveurs ;
Économique, car les coûts d’accès et de transfert de données restent dépendants des devises étrangères ;
Juridique, puisque les données hébergées à l’extérieur relèvent souvent des juridictions étrangères (ex. : Cloud Act américain). - Construire des infrastructures locales et durables
Pour réduire cette dépendance, il est nécessaire de renforcer les capacités locales par :
La création de centres de données régionaux respectant les normes internationales de sécurité et de redondance énergétique (ISO/IEC 27001, Tier III ou IV) ;
Le développement de clouds souverains nationaux ou panafricains, permettant d’héberger localement les données publiques et stratégiques ;
L’investissement dans la formation en ingénierie cloud, cybersécurité et architecture des réseaux afin de garantir une autonomie opérationnelle.
L’exemple du Parc des Technologies Numériques de Diamniadio (Sénégal) illustre cette volonté de doter le continent d’infrastructures modernes. Toutefois, pour être scientifiquement et économiquement viables, ces initiatives doivent s’intégrer dans un écosystème panafricain interopérable, capable d’assurer la continuité de service en cas de panne locale.Une approche scientifique de la souveraineté numérique
La souveraineté numérique n’est pas un repli technologique, mais une démarche d’ingénierie stratégique visant à garantir :
L’indépendance des données critiques ;
La continuité des services publics et économiques ;
La sécurité des communications ;
L’innovation locale.
Une telle approche nécessite des normes communes, une coopération régionale et des investissements coordonnés entre les États, les universités et le secteur privé.
Conclusion
La panne de Cloudflare a démontré que la résilience numérique ne peut être laissée au hasard ni à la seule responsabilité d’acteurs étrangers.
Pour l’Afrique, le développement d’un réseau d’infrastructures numériques autonomes, interconnectées et sécurisées constitue une étape essentielle vers une indépendance technologique durable.
C’est dans cette perspective scientifique et stratégique que doit s’inscrire le projet africain de souveraineté numérique.
Oumar Alioune Kane
Spécialiste en communication multimédias
et technologies numériques
Responsable Communication digital Office National de Formation Professionnelle
