Mabrouck Rachedi, Ecrivain : « Sadio Mané est un candidat naturel au Ballon d’or, mais…»
Pour l’écrivain Mabrouck Rachedi, le fait que Sadio Mané, attaquant de Liverpool, soit africain explique son déficit de reconnaissance face au…
Pour l’écrivain Mabrouck Rachedi, le fait que Sadio Mané, attaquant de Liverpool, soit africain explique son déficit de reconnaissance face au Français du Real Madrid, qu’il rencontrera samedi en finale de Ligue des champions.
Chronique. Le footballeur africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Derrière ce détournement du tristement célèbre discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007, se cache une réalité : depuis toujours, les joueurs du continent font les frais d’une décote par rapport aux Européens et aux Sud-Américains. Sadio Mané en est un des exemples les plus frappants.
Vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) avec le Sénégal, en février, deuxième du championnat anglais – le plus disputé du monde – et en finale de la Ligue des champions face au Real Madrid, samedi 28 mai au Stade de France, l’attaquant décisif de Liverpool est l’auteur d’une saison exceptionnelle. Il est donc un candidat naturel pour le Ballon d’or 2022, qui sera décerné à Paris en octobre.
Oui, mais la planète football n’a d’yeux que pour Karim Benzema, le 9 fantastique de la « maison blanche » – le Real Madrid. Il est même le grand favori du trophée qui récompense le meilleur joueur du monde. Ses statistiques plaident pour le Français : « Pichichi » de la Liga (meilleur buteur avec 27 réalisations), il a guidé et porté son club jusqu’au titre de champion d’Espagne et jusqu’en finale de la Ligue des champions. Pour les observateurs, il n’y a ni débat ni doute : Benzema doit être le Ballon d’or.
Pourquoi un tel écart de considération entre ces deux stars ? Au-delà des questions sportives, sa nationalité et son continent sont peut-être les véritables clés du déficit de reconnaissance de Mané.
Sur la pointe des pieds
En réalité, le footballeur africain est déjà entré dans l’histoire ; mais sur la pointe des pieds, presque sur un malentendu. Par une porte entrouverte en 1995, l’année où la récompense individuelle la plus prestigieuse du football mondial a été étendue aux joueurs extra-européens. George Weah, avant-centre du Paris-Saint-Germain (PSG) – et actuel président du Liberia –, avait été le lauréat. Puis plus rien, comme si le symbole suffisait une fois pour toutes.
Pour rappel, lors de la saison 1994-1995, le PSG s’était classé troisième du championnat de France et s’était fait sèchement sortir en demi-finale de la Ligue des champions par le Milan AC, club que le joueur a ensuite rejoint. Cette année-là, face au Parisien, la concurrence était aussi moins brillante. Le palmarès de Weah n’a rien de comparable avec celui de Mané, dont l’armoire à trophées s’est remplie des plus prestigieuses coupes au cours des années.
Parmi les triomphes de Sadio Mané, la CAN, arrachée de haute lutte face à l’Egypte de son coéquipier en club Mohamed Salah et dont il a été désigné meilleur joueur. En faisant preuve au passage d’une force de caractère remarquable, lui qui a manqué un penalty en début de match puis a inscrit celui de la victoire lors de la séance de tirs au but. De quoi lui valoir un bonus dans la course au titre de meilleur joueur du monde ? Non, car la compétition africaine ne pèse pas autant qu’un Euro ou une Copa America.
Certes, on reconnaîtra que le tournoi européen est le plus dense. Mais quid du sud-américain ? Pourtant, Lionel Messi a remporté le Ballon d’or 2021 principalement grâce à la victoire de l’Argentine à la Copa. Sa saison en club avait été quelconque, individuellement et collectivement, avec des statistiques et des résultats bien en deçà de ses standards. Barcelone, son club d’alors, n’avait terminé que troisième de la Liga et avait été balayé par le PSG en huitièmes de finale de la Ligue des champions. La Coupe d’Espagne n’avait été que le lot de consolation maigrelet d’une saison en berne.
La CAN ne compte pas
La première CAN remportée par le Sénégal de Sadio Mané ne vaut donc pas autant qu’une Copa America conquise par Messi, voire que la Ligue des nations – compétition sans grande valeur – que Benzema a enlevée avec la France cette saison. Pis, la CAN ne compte pas. Peut-être même lui porte-t-elle préjudice puisque pendant que Mané faisait gagner son équipe nationale au Cameroun, il n’était pas sous le feu des projecteurs avec son club en Europe. Si le dribbleur sénégalais était anglais, il serait sans doute vu d’un œil plus conforme à son niveau réel. Au contraire, si Karim Benzema avait choisi la sélection algérienne, sa nationalité aurait-elle pu minorer ses performances extraordinaires ?
Le fardeau de l’homme africain le leste dans la reconnaissance de son talent. Le regard qu’on porte sur lui est teinté de la condescendance avec laquelle on toise le continent. Dans le meilleur des mondes, la finale de la Ligue des champions qui oppose Karim Benzema et Sadio Mané devrait décider lequel de ces deux immenses champions soulèvera le trophée individuel le plus convoité du monde du ballon rond. Si le footballeur africain n’est pas assez entré dans l’histoire, c’est parce que d’autres ailleurs l’effacent ou l’écrivent à sa place.
Mabrouck Rachedi est un écrivain franco-algérien dont la passion pour le football est née à l’âge de 6 ans lors du match Algérie-RFA de la Coupe du monde 1982. Dernier roman : Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, éd. Grasset, le 26 janvier.
Mabrouck Rachedi via Le Monde